Hormis ce puissant clash que j'ai vécu avec les styles de vie possibles en Guyane, qui ont été source d'étonnement, bonheur et malheur pour moi, j'ai constaté que je ne sais pas vivre à la Française.
D'abord il faut que je m'explique : c'est quoi un Français dans ma tête ?
Le Français c'est la discrétion, le silence, le réfléchir d'abord et parler peut-être ensuite. Le Français est platonique, contemplatif, pensif et même dans son explosion il s'arrête en temps du pour regagner la raison.
La raison - on s'y accroche tellement dans le monde francophone ! La raison en tant que capacité libre de la pensée, la raison comme certitude d'avoir le dernier mot véritable, le plaisir de faire connaître aux autres la qualité de ses raisonnements et de sa pensée.
Le Français au travail dit "bonjour" et "bonsoir", il ne prend pas des partis, il n'engage pas sa parole, il maîtrise les conflits, il glisse entre les crises, il sait le moment de frapper pour obtenir ce qu'il veut.
Le Français professeur est sévère mais par dur, est organisé, voire psychorigide tellement son obsession avec la perfection le démange.
Le parfait n'est pas un idéal chimérique, mais un fait mathématique trouvable au bout d'une longue route professionnelle où celui qui gagne est celui qui sait quoi et quand le faire.
Le Français est athée, même quand il est catholique, sa foi est pure raison, même si en délire, ce qui n'empêche son côté iniciatique (la franc-maçonnerie est Française). Le Français aime appartenir aux élus, à une élite, à une société secrète qui voit sans être vue, chaque Français est un peu voyeur, le Français aime par télépathie, il embrasse par télékinésie, il fait l'amour dans ses rêves mouillés.
Le Français est comme une espèce de fantôme physique : il vit sans rien toucher, rien déplacer, rien déranger. Il est une brise, un coup de vent, un frisson dans le dos, et s'il vous bouscule dans la rue, même avant de sentir le coup vous entendrez "pardonnez-moi" et toutes les autres formules de politesse qui en sortent comme d'un ordinateur.
Et voilà pourquoi je ne sais pas vivre à la gauloise. Je ne dis pas "bonjour" je dis "hm", je ne excuse pas, j'ai fait exprès, je veux que tu te casses les deux jambes - je te déteste. Je suis "Santo de macumba", "Curupira" et "Saci-Pererê", pas Astérix. Je suis "Pedrinho" et "Menino Maluquinho", pas Tintin. Je suis un criminel né, quelque chose entre l'orpailleur, le transsexuel et la pute.
Mon chemin au monde est physique, émotionnel, viscéral, rouge, noir, il fait mal, il me drogue, il pue, il envahit ma pensée, il me possède comme un esprit malveillant, un démon de passion et de rêve en forme de vie.
Je suis un animal désorganisé qui vit dans un trou qui sent la charogne recouvert des ossements des victimes de ma faim : mes projets inachevés, mes rêves, mes haines et mes amours et toutes les autres choses que font les animaux.
Ma vie est un livre ouvert sans beaucoup de secrets (sauf les incontournables), ma pensée aussi facile à connaître. Mes amours et mes chagrins sont à la portée d'un regard ou d'une question de 5 secondes. On me voit sans être vus, je suis en scène.
Je suis sud-américain, je viens d'une colline d'ordures, je marche pieds nus, je m'habille contre ma volonté. J'ai envie de lui péter la gueule, de lui arracher les yeux, de lui mariner dans du napalm, de lui toucher, de lui baiser, de haïr, d'aimer, de sentir, de vivre sans entendre mes pensées pleines de doutes, des songes et de tourments.
Pour ce pays des gens discrets, pleins de raison, pleins de temps, de tranquillité et d'acquis de civilisation je dois déranger pas moins qu'un fou enragé qui échoue sur les côtes issu d'un navire du Styx, Hel ou pire encore. Je ne suis pas Français... Don Quixotte, je lui pète la tronche, je lui nique sa race - Voltaire c'est un grand focu, Clarice Linspector est la seule capable d'entrer dans des pensées aussi néfastes que les nôtres : ces êtres de chair, amour, passion, ombre et tourment.
Non, je ne suis pas Français.